Il nous faut maintenant rentrer dans le vif du sujet, et vous présenter Gawad Kalinga, avant d’aborder nos derniers sujets sur les Philippines.
Pas facile, tant l’organisation montée et animée par Tony Meloto sort des sentiers battus et bouscule nos habitudes. Tant elle couvre un champ qui va très au-delà de notre vision habituelle de l’aide aux plus démunis, pour construire des solutions durables par-delà l’aide initiale.
« Gawad Kalinga »
En philippin, le sens de ces deux mots, c’est « Prendre soin » et « Partager » (Care and Share).
Au cœur des valeurs de Gawad Kalinga, il y a cette conviction qu’on peut sortir les gens de l’extrême pauvreté, révéler des talents, révéler des leaders, en développant la solidarité, en les aidant et en assurant une présence régulière auprès d’eux.
C’est tout le premier volet de l’action de GK, celui des « Communautés Gawad Kalinga », qui est décrit en détail dans le livre de Tom : « The Genious of the Poors ».
A la base, la (re)construction d’un village complet pour chaque communauté, mais aussi leur accompagnement et leur soutien dans la durée.
Bâties autour d’un groupe de familles – 15 à 100 familles suivants les cas, soit 60 à 400 personnes – ces communautés viennent presque toujours d’une situation d’extrême pauvreté, liée à leur situation (les slums de Manille) ou à une catastrophe naturelle (la communauté de Marobojoc, qui a subi le tremblement de terre puis le typhon en 2013 – voir le post sur Junalyn à suivre).
Le défi est gigantesque : l’objectif annoncé par Tony Meloto est de sortir, d’ici 2024, 5 millions de philippins de l’extrême pauvreté. Cela passe évidemment par le fait de retrouver un toit et un environnement stables, mais c’est loin d’être suffisant. Formation et partage des valeurs au sein de la communauté, développement du leadership et de l’organisation interne à celle-ci, apprentissage de nouveaux métiers pour retrouver des activités sources de revenus : l’accompagnement des communautés GK est sans doute le volet le plus important de l’action de Gawad Kalinga, même s’il est moins visible. Ce que Tito Tony résume par le terme « Power of Presence ». A ce jour, ce sont 2 500 communautés GK qui ont été construites aux Philippines, et qui ont déjà permis de sortir plus d’un million de personnes de l’extrême pauvreté.
Dans ce système, l’une des valeurs essentielles est le partage. Personne ne doit rester au bord de la route. La solidarité est érigée en vertu cardinale.
Deux exemples :
« Walang Iwanan » – « No one will get left behind » – « Personne ne doit rester au bord de la route » : les communautés qui reconstruisent leurs villages attendent d’avoir fini l’ensemble des maisons pour s’y installer, même s’il faut attendre quelques mois de plus dans des conditions insalubres.
« Bayanihan » et « Banyani Challenge » : Bayani, c’est le héros en philippin. Banyanihan, c’est difficile à traduire, quelque chose comme la « mobilisation héroïque ». Par laquelle les volontaires GK se mobilisent pour un projet particulier : reconstruire un village par exemple. Avec l’organisation GK et le nombre de volontaires, en quelques semaines, le projet est lancé et permet de passer le relais aux habitants des communautés. L’aboutissement, ce sont les « Bayani Challenge » organisés chaque année par GK, qui rassemblent sur 5 jours des milliers de volontaires, pour venir en aide soit à des communautés récemment touchées (glissement de terrain, typhons) soit à de nouvelles communautés.
L’histoire de ces communautés, les valeurs et les objectifs de Gawad Kalinga sont bien résumés dans le film de présentation diffusé en 2013, après quelques années de développement des premiers villages et le lancement de l’Enchanted Farm (ci-dessous).
Mais ce n’est que le premier étage de la fusée.
On le perçoit confusément : quelle que soit l’ampleur de l’aide initiale, elle ne peut atteindre ses objectifs que si les communautés développent ensuite des ressources propres, lesquelles leur permettront alors de devenir autosuffisantes.
Enchanted Farm
Là, on rentre de plain pied dans la vision de Tony Meloto.
Deux des entrepreneurs historiques de l’Enchanted Farm nous ont raconté – indépendamment – la même histoire : « Quand j’ai rejoint GK, on m’avait dit : « Tu verras, l’Enchanted Farm c’est la Silicon Valley de l’Entrepreneuriat Social », et quand je suis arrivé [en 2010 NDLR], il n’y avait rien ! De la boue et des herbes hautes. Et là, Tito Tony m’a dit : « It still has to be built !
Build it, and they will come« .
6 ans plus tard, le résultat est stupéfiant.
Au-delà de l’émotion de Shannon, Fabien ou Tito Tony quand ils racontent l’histoire, il faut visiter le site, s’y perdre, échanger avec les communautés, les Titos, les Titas, le personnel GK et les volontaires pour essayer de comprendre.
Sur ce site de 35 Ha (aujourd’hui), se sont déjà construits en effet :
- une communauté Gawad Kalinga
- plusieurs dizaines d »entreprises sociales en développement : produits de beauté (Human Nature), boissons (Banyani Brew), canards (GoldenDuck), poulets, yaourts (Dairyard), vers à soie (Ambiension), jouets (Plush & Play), glaces (Karabella), …
- trois centres de conférence et de réception, financés, comme une bonne partie des infrastructures, par les partenaires GK,une banque spécialisée dans le microcrédit
- une ferme (enchantée donc) incluant un modèle « 1 Ha » de développement agricole sur une parcelle de terrain d’un hectare
- une université (Farm Village University) qui abrite le programme universitaire SEED (School for Experiential and Entrepreneurial Development)
- toute l’infrastructure d’accueil et d’hébergement nécessaire pour accueillir les visiteurs, qu’ils soient de passage où à l’occasion d’un « Social Business Camp »
- et des espaces de discussion et d’échanges partout sur le site
Bref, la Silicon Valley a pris corps et se transforme chaque jour sous nos yeux !
L’Enchanted Farm est devenue en 6 ans le poumon de l’organisation de GK, le laboratoire d’innovation sociale (Center for Social Innovation), mais aussi de recherche et développement en agronomie, qui légitime complètement la vision de Tito Tony et la célèbre phrase qu’il aime à appeler : « Build It and they Will Come ».
L’entrepreneuriat social
Le 3ème étage de la construction de GK, c’est le développement de l’entrepreneuriat.
Objectif : 500 000 entrepreneurs sociaux aux Philippines en 2025.
Comment ?
A la fois par l’Innovation, l’esprit d’entreprise et la reconquête de la terre, laquelle est disponible en abondance aux Philippines mais sous-exploitée.
Pour résumer les enjeux, Shanon ou Tito Tony aiment rappeler les quelques faits que nous avons déjà cités :
! Le marché Philippin, c’est 100 millions de consommateurs, mais dans nombre de filières (produits laitiers, chocolat, café …) les produits sont importés alors que les matières premières poussent ou pourraient pousser « chez nous ».
! Les Philippines, c’est la porte d’entrée idéale pour l’Asie, qui est le plus grand marché du monde, et tout le monde y parle anglais.
! Le développement économique s’est beaucoup fait ces dernières années par les call centers et par les activités de service dans les villes, alors que les Philippines regorgent de ressources naturelles. Il doit se développer aussi, notamment, par la reconquête des filières agro-alimentaires et le développement des activités touristiques.
! Les clés de ce développement, ce sont l’esprit d’entreprise, la fierté d’être Philippin et de développer des marques Philippines « world-best-in-class »
! Ce développement doit être « inclusive », en ce sens qu’il ne laisse personne au bord de la route, et intègre dès le Business Model de l’entreprise la réduction de la pauvreté et le partage du développement avec les communautés GK.
Une volonté très concrète donc d’amener – les Philippins notamment – à devenir les entrepreneurs de demain et à sortir leur pays de sa situation actuelle.
Entrepreneuriat social aussi, à la fois par l’emploi et les revenus qu’il crée dans les communautés mais aussi par le Business Model même de ces entreprises.
La formation
Quatrième volet de la vision de Tony Meloto : la formation. En fait, elle est omniprésente.
Tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que c’est par l’éducation qu’on peut réduire les inégalités. Ce postulat est mis en oeuvre de multiples manières chez GK :
- Formations des communautés GK aux valeurs de Gawad Kalinga et au leadership.
- Formations, toujours des communautés GK, aux nouveaux métiers qu’elles peuvent appréhender.
- Formation des enfants de communautés, à la fois dans le cadre de l’organisation des
villages et, pour ceux qui s’y sont inscrits, à travers le programme SEED. - Formation enfin, à l’entrepreneuriat social, à travers les Social Business Camp, tels que celui que nous avons suivi.
La mobilisation des participants est remarquable. Ainsi, les étudiants SEED travaillent le matin, de 6 h à 12 h, pour l’une des activités ou des entreprises en développement sur le site de l’Enchanted Farm, puis reprennent les cours tous les après-midis, sur le site toujours, dans les salles de classe de la Farm Village University.
Le volontariat et les échanges communautaires
Enfin, dernier volet et non des moindres, le développement de GK s’est fait aussi par l’appel et la présence régulière de volontaires qui ont adhéré au programme de Gawad Kalinga et à la vision qu’il développe. Volontaires philippins bien sûr, mais pas uniquement. Sur le même plan que les dons qui ont permis le financement de la plupart des investissements de GK, le volontariat assure une présence matérielle de compétences de talent, souvent spécialisées, auprès de communautés. Comme le dit Tito Tony a beaucoup de donateurs philippins : « You can give money to the GK communities. For sure it will be useful. But moreover, the best you can give is your presence. Power of presence. »
Sans compter les nombreux volontaires arrivés ici pour quelques mois et qui sont restés pour accompagner le développement de GK ; Tom, Fabien, Adrien, Louis …
Surprise de taille en arrivant : la communauté française est extrêmement impliquée dans ce programme de volontariat et notamment nombre de nos écoles les plus prestigieuses.
Tellement que, pour ce sujet aussi, nous en avons fait un petit « post » spécial.
Nous étions venus pour partager la vie des communautés GK et suivre un Social Business Camp pour développer notre compréhension de l’entrepreneuriat social. Nous y avons trouvé bien plus : un monde en soi, multidimensionnel, porté à l’origine par la vision d’un homme et tout entier tourné vers l’objectif d’accompagner le développement des populations philippines.
Ce qui est étourdissant dans l’histoire de GK, c’est l’effet d’échelle : que l’on se penche sur le nombre de communautés, de volontaires, de formations dispensées, de Bayani Challenge déjà tenus, les chiffres donnent le tournis et donnent envie d’accompagner le mouvement ou de le transposer chez nous.
A parcourir : http://www.gk1world.com/
A lire : The genius of the poor – Thomas Graham – 2014
Traduit en français sous le titre : « La richesse des pauvres ».
Hello, merci pour l’article très intéressant et les autres récits sur les Philippines, les entrepreneurs se rencontrent :-).
Vous étiez déjà sur place pour les élections présidentielles ? Je serai curieux d’un point de vue des Philippines sur le résultat.
Biz de Granville,
Jürgen